Le soldat Robert Jourdain en mai-juin 1940

En rangeant ses papiers après sa mort, je suis tombé sur le carnet de souvenirs de mon père qui y avait consigné ses "aventures" en mai-juin 1940.
   Comme c'était écrit au crayon, avec le temps, tout commençait à s'effacer.
   C'est pourquoi j'ai décidé de tout retranscrire, pour qu'il en reste quelque chose.
   Je n'ai rien changé au texte; les passages en italiques sont de moi et ne sont que des précisions pour éclairer certains points ou faciliter la lecture.

   Yves Jourdain

                                         407ème R.A.A.A. - 54ème groupe - Ire Armée


 9 mai 1940, 8 heures du matin, arrivée à Caudry, Nord, de retour de permission.

                                                    ( 10 mai )

 Le 10 au matin, je dois prendre mon service de guet de jour à 6 heures.
 J'arrive sur la position, déjà en alerte, en avance; j'y suis à 5h30, juste pour voir un Do 17 défiler sous notre nez, à une altitude d'environ 2000 mètres, et sans que nous ayons le temps de nous servir de nos canons ( 75mm Mle 32 ).
 Vingt minutes après, nous entendons à nouveau des ronflements puissants.
 Je braque ma jumelle et j'aperçois, volant à environ 1000 mètres d'altitude, 6 Heinkel 111 ( de la KG 1 ) qui foncent droit sur nous.
 Un coup de sifflet, et, moins d'une minute après, une rafale part. Raté !
 Les avions passent; deux prennent un peu plus d'altitude, et les quatre autres bombardent en passant le terrain de Niergnies ( Cambrai-Niergnies ), Nord, où se trouvent des Morane 406 ( G.C. III/2 ).
 Nous continuons à tirer sur l'ennemi.
 L'un des deux bombardiers nous repère et se dirige sur nous, et, de 800 mètres, nous mitraille en passant, fait demi-tour, et recommence.
 Personne n'a bougé, et aucun de nous n'est tombé.
 C'est le baptême du feu; nous prenons confiance et recommençons à tirer.

 Pendant ce temps, un Morane 406 a réussi à décoller malgré le bombardement et le mitraillage.
 Il faut un beau courage de la part du pilote pour réaliser cet exploit.
 Nous le voyons monter en chandelle en essuyant le feu des mitrailleurs adverses, les dépasser en hauteur et plonger sur eux avec sang-froid.
 Les deux bombardiers prennent la fuite, mais pas assez vite, car l'un deux sera abattu peu après par l'héroïque chasseur, qui est, nous le saurons plus tard, un polonais volontaire dans l'armée française. ( en fait, il s'agissait de l'adjudant Antoine Moret ).
 Mais le malheur est grand; sur 30 appareils, 15 brûlent au sol, et quelques-uns sont atteints par des éclats ( bilan : 13 détruits ou endommagés )
 L'émotion est vive, surtout que les nouvelles nous apprennent que presque tous les terrains d'aviation ont subi le même sort.
 Le coup est rude pour nous.

Au cœur de l'Histoire....

Merci pour le partage et pour prendre le temps de tout réécrire... et aussi pour faire perdurer la mémoire de ton Papa !

Pascal

Mon père a fait partie de cette génération à qui l'on a injustement reproché la défaite. Tous en ont été profondément marqués.
 Il est malheureusement décédé avant que commencent à sortir des ouvrages réhabilitant le soldat français de 40.
 Jamais il n'a parlé de ce qu'il avait vécu, et si je n'avais pas retrouvé ce carnet, je n'en aurais rien su.
 Je savais ( par des amis à lui ! ) qu'il avait été à Dunkerque, qu'il avait fait quatre ans de stalag et qu'il s'était évadé.

Yves

Nos soldats ont fait ce qu'ils ont pu, ce qu'ils ont dû.

Comme d'hab, honte aux soldats quand c'est défaite, gloire aux gégén quant c'est victoire   .

Dans un bouquin, Henri Guillemin rappelle qu'il n'y a quasiment que sous la Révolution (la vraie, 92-94) que les généraux ont payé leurs erreurs (et leurs trahisons...).

Merci pour le partage, Yves.

Mon Grand-père avait fait la dernière année de la "Der des Der"...
Pareil, il n'en parlait jamais, et si je posais des questions, on me disait de me taire ou de ne pas embêter le monde ou que ce n'était pas de mon âge, enfin, on se débrouillait pour que la conversation s'arrête plus vite qu'elle n'avait commencé...
Après, j'imagine bien que les souvenirs étaient sûrement parfois très douloureux, et que certains anciens se demandaient pourquoi ils étaient "revenus" et pas les copains et que tout ça c'était pas forcément "rigolo", mais il n'empêche que ces récits et ces souvenirs nous manquent maintenant...
J'avais aussi un voisin, résistant, qui était revenu des "camps de la Mort"... je ne l'ai su que lors de son inhumation...
Pascal

Bonsoir

Dans la dernière entreprise où j'ai travaillé, dans le service outillage, il y avait deux anciens qui avaient connu mai/juin 40. L'un était dans une unité d'artillerie équipée de canons de 155mm. Ils recevaient des munitions de 47mm, de 75mm, etc... et un jour de canonnade, le canon a été chargé, et au moment du tire... ça a fait pchittt, car la gargousse de poudre avait été remplacée par du sable . Le temps de tout nettoyer, les allemands arrivaient pour les faire prisonniers.
L'autre a servi dans une unité d'AMR, et a eu l'occasion avec la mitrailleuse de toit, d'abattre un mouchard. Bravo, il a été décoré. sauf que le lendemain, la localité a été bombardée, et sa médaille lui a été retirée. Son unité se dirigeait vers la Dordogne, et quand ils sont entrés dans Angoulême (16), les allemands étaient en train de mettre des mitrailleuses en batterie. Il n'y a pas eu de coup de feu, et la colonne est partie vers Périgueux (24). Après novembre 1942, il a été démobilisé. Mais ce n'était pas terminé, il a été requis pour le STO, il était tourneur, et le responsable de l'atelier lui disait; "langsam, Hitler a le temps, il peut attendre". Gaby a profité d'une permission pour fausser compagnie au STO, et passer dans la clandestinité. Après la guerre, il est allé remercier le cadre de l'entreprise qui l'avait envoyé en Allemagne

Amicalement
@+ Yves

( 11 mai ) 
                                   illisible
 Nous avons tiré pas mal ce jour-là.
                                  
                                   ( 12 mai )
                                    illisible
 
 Les nouvelles les plus diverses circulent.

                                    ( 13 mai )

 Nous nous préparons au départ, et, le 13, l'ordre de relève arrive.
 En hâte nous rassemblons notre matériel, empilant tant qu'on peut dans nos camions.
 Nous nous rangeons en colonne au village (  nom ? ), et allons rapidement faire nos adieux aux braves gens qui nous avaient logés.
 
 A 16 heures, un coup de sifflet strident retentit; la capitaine donne un ordre, nous embarquons.
 Les moteurs ronflent, et , lentement, la colonne s'ébranle.
 Au bout de quelques kilomètres, nous perdons une voiture contenant du matériel d'artillerie...ça commence bien ! ( Nous ne la reverrons jamais ).
 Nous roulons tout doucement; les chefs de voiture ont un point de ralliement en cas d'arrêt pour panne, ou perte d'itinéraire, de leur véhicule.
 Car, on n'attend pas; tant pis pour les traînards...
 Toute la nuit, nous voyageons à l'aveuglette.
 Un camion nous bouscule un peu, et, au matin, nous nous trouvons seuls dans un village ( nom ? )où nous prenons un café bien chaud qui nous réconforte.

 Où sont les autres ? On croyait pourtant bien suivre la colonne, mais, dans la nuit, nous nous sommes égarés.
 Qu'importe; notre brigadier se renseigne, et nous constatons que nous ne sommes pas loin de notre point de ralliement, car nous sommes en Belgique.
 Nous repartons, et, en traversant les villages, les gens nous saluent, nous crient des encouragements, "vive la France !", "vive la Belgique !", "bravo les gars !", et combien d'autres encore, plus ou moins tendres pour l'adversaire.

( 14 mai )


 Nous continuons notre route, et nous arrivons à Courcelles ( Belgique ), près de Mons, vers les 11 heures, le 14.
 Les trois-quarts des véhicules y sont, et nous mettons en batterie à environ 500 mètres du village.
 Nous sommes là pour protéger la centrale électrique et les mines de charbon près de La Louvière.
 C'est midi, et nous commençons à casser la croûte, quand une première vague d'avions apparaît.
 Il y en a trente ou quarante; les bombes pleuvent, cherchant la centrale électrique qui disparaît derrière un nuage de fumée et de poussière.
 La Louvière est bombardée; le ciel est constellé d'éclatements; des avions tombent,d'autres fuient, atteints dans leurs oeuvres vives.
 Tout l'après-midi, c'est un véritable enfer de détonations.
 La nuit nous apporte un repos bien gagné.

                                         ( 15 mai )


 Mais, le lendemain, 15 mai, les vagues d'avions se succèdent, nous paraissant de plus en plus serrées.
 Nos canons tirent sans arrêt ( 430 coups avec deux pièces ); les tubes chauffent; plusieurs d'entre nous sont en bras de chemise.
 Notamment R..., un alsacien, littéralement fou furieux, qui enfourne les obus aussi vite qu'il le peut, tout en gratifiant les avions ennemis de "fumiers de boches !", " s....!", "p.... !", " je peux pas les sentir ces s...! "
 Nous n'avons pas le temps de manger, qu'importe, nous sommes pris dans le rythme infernal de la bataille, et nous ne pensons plus à rien qu'à tirer, tirer sans arrêt.
 La nuit revient, et, avec elle, un peu d'accalmie.
 Nous entendons bien encore quelques explosions, mais, morts de fatigue, cela ne nous empêche pas de dormir.

( 16 mai )


 Le lendemain matin,nous regagnons la position; le calme est revenu, et, vers 11 heures, juste 48 heures après notre arrivée,l'ordre de repli arrive !
 L'ennemi n'est pas loin, et nous entendons les ponts sauter pour couper les routes.
 Nouvelle colonne, nouveau coup de sifflet, et nous repartons le coeur un peu serré d'être obligé de reculer, mais ce sont les ordres.
 Cette fois, nous avons comme point de ralliement la forêt de Mormal ( sud-est de Valenciennes ), en lisière de la frontière.
 Nous y arrivons après avoir croisé des réfugiés belges encombrant les routes et ralentissant la marche des convois.

 Quel triste spectacle que celui de ces malheureux n'ayant plus rien pour s'abriter, et quelquefois même pas de quoi se nourrir.
 Des vieux traînent sur le bord des routes, des femmes passent, la tête basse, poussant devant elles leur marmaille remuante, plus ou moins en guenilles.
 Nous voici sur la frontière, surveillée et bombardée par l'aviation.
 Comme l'ordre est d'attendre là, nous attendons.

 Avec quelques camarades, nous apercevons une casemate.
 Là, pense t-on, nous serons à l'abri, et tout joyeux, nous franchissons les quelques dizaines de mètres qui nous séparent d'elle.
 Mais voilà, elle est occupée, et ceux qui s'y abritent nous prient d'une manière assez significative de foutre le camp, et au plus vite, car, disent-ils, " nous en recevons assez comme ça...", et "s'ils vous voient, qu'est-ce qu''on va prendre !..."
 Que faire ? Chacun pense à sauver sa petite peau, et ne veut pas d'un visiteur trop repérable avec ses camions, et qui risque de lui attirer quelques ennuis.

 Donc, il nous faut rester dehors, et essuyer le feu de mitrailleuses, en s'abritant de notre mieux derrière les arbres.
 Que dire...ça aussi, c'est la guerre...

(  16 mai suite )


 Après une demi-heure d'attente, nous repartons, et nous nous retrouvons, le soir, à 18 heures, à notre ancienne position de Caudry, mais aussi, avec de nouveaux bombardiers sur nos têtes.
 Malgré tout, nous sommes plus confiants.
 Nous nous sentons chez nous dans ce village où nous avons vécu plusieurs mois.
 Il nous semble qu'ici nous risquons moins, parce que nous connaissons le pays.
 Illusion que cela...

 Au cours de cette expédition, nous avons perdu la moitié de nos camarades et de notre matériel.
 Qu'est-il advenu de nos amis perdus dans les colonnes ?
 Ont-ils été victimes de bombardements ?
 Nous retrouvons notre cantonnement intact, et nous en reprenons possession.
 Mais l'inquiétude règne dans le village, car les dernières nouvelles disent que les chars ennemis sont au Quesnoy, à 25 kms environ.
 Nous soupons, et allons prendre un repos bien gagné.
 Nous devons être prêts à 6 heures le lendemain matin.

                                         ( 17 mai )


 A 8 heures, nous mettons nos moteurs en route, et nous voilà repartis.
 Mais ce n'est pas avec l'enthousiasme de la première fois; et c'est un départ triste et silencieux.
 Nous arrivons au Quesnoy malgré les nouvelles, mais nous ne voyons aucun tank allemand.
 Par contre, les nôtres y sont ( 9ème B.C.C. ? ), et leurs occupants nous regardent passer en souriant.
 Ils nous crient " où allez-vous ? "..." plus loin... " " mais vous êtes fous, ils y sont !!! "
 Entre-temps, nous nous réfugions sous le porche de l'église, car, à défaut des tanks, il y a les avions, et les balles pleuvent en ricochant sur les pavés !

 Nous continuons notre route, toujours en essuyant les mitraillages et les bombes.
 Un camion de munitions est touché à 100 mètres de nous, et il brûle.
 Son chargement explose, et il nous faut attendre une demi-heure pour que soit fini ce feu d'artifices !
 Aussitôt terminé, les blessés sont relevés, et nous reprenons notre marche pour arriver à Wasmes ( Belgique, sud-ouest de Mons ) à 21 heures.
 Là, tout est calme, on ne croirait pas que c'est la guerre; les habitants nous reçoivent bien et nous offrent le gîte et le couvert.

 Nous ne sommes plus que 8 véhicules, sur 26 au premier départ.
 Où sont passés les autres ?
 Nous passons une bonne nuit.

( 18 mai )


 Le lendemain, nous attendons les ordres, sans avoir mis en batterie.
 Enfin, à 12h30, nouvel ordre de repli; nous repassons une nouvelle fois la frontière, en constatant que, partout, les bombardiers ont fait leur travail.
 Nous traversons Valenciennes, où quelques maisons en dehors de la ville ont été touchées, puis Arras, où l'on sent le danger imminent, et nous arrivons à Esquerchin ( Nord ), point de ralliement, vers 15 heures.
 Juste à temps pour assister à un combat formidable entre des chasseurs canadiens ( sic ) et un groupe de Do-17.
 C'est une véritable mêlée; 7 appareils tombent en l'espace de quelques minutes.
 L'avantage reste aux canadiens ( re-sic ).

 La bataille terminée, de nouveaux bombardiers arrivent et pilonnent le terrain d'aviation pendant une demi-heure; c'est la revanche...
 Nous retrouvons quelques véhicules de notre colonne.
 Le regroupement s'effectue, et nous passons la nuit dans nos camions.

                                       ( 19 mai )


 Le lendemain, nous voyons passer des vagues de bombardiers français et anglais.
 C'est la première fois que nous en voyons autant !
 Le soir, vers 17 heures, nous repartons sans avoir pris position.
 Nous filons quelques instants et nous faisons halte à Noeux-les-Mines, sur la place de l'école, où nous pouvons nous laver et nous raser, car, depuis quelques jours, cela ne nous a pas été possible.
 Ceux qui ont encore du linge propre se changent, et nous nous regardons en souriant.
 Les visages ne sont plus les mêmes, les traits paraissent plus durs, mais, malgré cela, nos corps sont las et demandent du repos.
 Ce ne sera pas encore pour cette fois !

 Avec quelques camarades, nous avons trouvé à nous loger.
 Hélas, quelques instants après, un nouveau coup de sifflet retentit.
 Que se passe t-il ?
 Nous courons à nos véhicules et embarquons en vitesse.
 Nous repartons.
 A peine deux heures que nous sommes là...

 Il est 19h30; nous roulons une heure et faisons halte à Douvrin-le-Marais ( Nord ).
 Nous mettons immédiatement en batterie, et, vers 22 heures, nous regagnons une ferme qui nous a été désignée comme cantonnement.
 Nous couchons à même le sol, car nous n'avons pas le courage d'aller chercher de la paille.
 Mais nous trouvons encore très doux de pouvoir nous allonger et dormir.

Photo prise pendant l'hiver 39-40.

 ( 20 mai )

 Le lendemain, au réveil, nous gagnons la position.
 C'est assez calme; quelques avions de reconnaissance passent.
 Nous tirons.
 Tout à coup, un vrombissement puissant éclate, et un bombardier passe sur nous à hauteur des arbres.
 On dirait qu'il cherche à se poser.
 Est-il touché ?

 A midi, nous faisons un bon repas, car les cuistots ont pu faire un peu de cuisine.
 Et en plus de ça, il y a un litre de vin pour chacun ! Quelle aubaine !
 Cela nous réconforte un peu.
 Nous commençons à nous installer, mais, à nouveau, à 17 heures, l'ordre de départ arrive ( c'était pourtant assez calme là ! ).
 Quand s'arrêtera t-on de rouler ainsi ?
 Nous sommes un peu ahuris par tous ces changements.
 Après démontage du matériel, nous rebouclons nos sacs, et avant sur la route !...

 Nous croisons des anglais qui lèvent le pouce droit en signe de bonjour, et, à 22 heures, nous arrivons à Morbecque ( Nord ).
 Nous couchons à nouveau dans nos véhicules, car il fait nuit, et il nous est impossible de chercher un abri.

( 21 mai )

 Le lendemain, au lever du jour, nous procédons à la mise en batterie; nous tirons sur des vagues de bombardiers, et, en particulier, sur un avion de reconnaissance Henschel 126, monoplan blindé ( en fait, non ), qui semble se moquer de notre canonnade.
 Il vole à une altitude variant entre 1 000 et 1 500 mètres, à une vitesse de 40m/s, et, malgré cela, il parait invulnérable.

 Alors la colère me prend; j'abandonne mes jumelles et je me précipite dans la tranchée, où nous avons installé un fusil antichar anglais ( Boys, de 13,9mm ), récupéré dans un camion abandonné.
 Comme nous n'avons pas trouvé son support, nous l'avons calé avec des sacs de sable.

 Voilà le mouchard qui repasse, beaucoup plus bas, comme pour nous narguer, un peu sur ma gauche.
 Je tire...et je me retrouve les quatre fers en l'air au fond de la tranchée, avec l'épaule droite endolorie, avec D. qui hurle " P...tu l'as eu ! T'as eu l'observateur ! ".
 L'avion dégage; on ne le reverra pas de la journée.

                                         ( illisible )

                                                      ( 22 mai )

 Ce jour-là, nous voyons pour la première fois des Stukas bombarder en piquant vers le sol.
 Le miaulement que font ces appareils est impressionnant.
 Ces appareils sont sensiblement plus gros que des chasseurs, et construits spécialement pour le bombardement en piqué.
 Mais, cette fois-ci, en plus de la D.C.A., il y a la chasse anglaise entièrement composée de Hurricane.
 C'est une bataille spectaculaire; les chasseurs foncent sur les Junkers qui ne sont pas de taille à lutter.
 Aussi, le bombardement est-il bref, et un peu clairsemé.

                      

dégommer un avion (même un Henschel 126) avec un fusil antichar Boys...
Chapeau !!!

Pascal

C'est vrai que ça n'a pas dû arriver souvent...
 J'en profite pour légender la photo.
 Il s'agit de la mise en batterie du canon CA de 75.
 Je pense que c'est un mle 17/32, mais je n'en suis pas sûr.
 Les carnets de mon père ne précisent pas le modèle.

Le frein de bouche discernable au bout d'un tube rallongé suggère effectivement fortement un 75 AA modèle 17-34

Un canon sur lequel à part des photos peu informatives, on n'a malheureusement peu de doc...

Pascal

Tu as raison, ça ressemble plus à un 17/34.

 Yves

( 23 mai )


 Nous ne partons que le lendemain, à 8 heures du matin.
 Une première halte à Ghyvelde ( Nord ) à 14 h 30 pour repartir une heure après.
 Puis, nous roulons jusqu'à Teteghem ( Nord ) où nous arrivons à 16 heures.
 Nous mettons immédiatement en batterie, et la nuit arrive.
 Cette fois nous avons de la paille pour nous coucher, et je vous certifie que malgré les tirs d'artillerie, nous goûtons tous à un repos bien gagné.


                                        ( 24 mai -26 mai )


 Le lendemain, l'ordre de se tenir prêt arrive de nouveau.
 Et, à 10 heures, après avoir démonté à nouveau le matériel, nous repartons pour...la Belgique !
 Décidément, si les douaniers nous voient, ils doivent nous prendre pour des contrebandiers...
 Donc, nous franchissons la frontière pour la troisième fois, et nous prenons position à Adinkerque ( Belgique ), à 12 heures.
 Là, nous y passons pratiquement deux jours.

 Ici se passe un incident que je n'oublierai pas.
 Des mitrailleurs, placés à 500m de la batterie, détachent un homme auprès du capitaine, pour l'avertir qu'ils viennent d'essuyer des coups de feu...de la part de qui ?
 Le coin n'est pas rassurant; on se sent entourés par des gens parfois hostiles, comme nous nous en sommes aperçu pendant l'installation de notre roulante.

                                         xxxxxxxxxxxxxxxxxxxx

 Ci-après, une photo prise sans doute pendant l'instruction au 405ème R.A.A.A. à Hyères ( Var ).
 Mon père est le deuxième debout en partant de la gauche.
 Peut-être quelqu'un reconnaîtra un membre de sa famille parmi les soldats ?.


 Quant'au matériel, il se peut qu'il s'agisse d'un télémètre S.O.M. Type G2, Mle 31, 14x.


                                    

( 26 mai )


 Nous quittons ces lieux malsains à 19h30, et repassons la frontière, pour nous arrêter à Coudekerque-village à 20h30.
 Nous apercevons de la fumée et des flammes sur Dunkerque et St-Pol.
 La nuit vient, mais pas le repos, car l'artillerie tire sans arrêt; les nôtres répondent, les obus sifflent sur nos têtes...on dirait que cela forme une voûte d'acier.
 Malgré tout, la fatigue nous gagne, et, sur le matin, quelques-uns réussissent à s'endormir.

                                             ( 27 mai-30 mai )


 Le lendemain, dès 5 heures du matin, le bombardement par avion reprend; St-Pol est à nouveau touché.
 Une gigantesque colonne de fumée s'élève des réservoirs à mazout qui sont atteints.
 Puis après, c'est pour Dunkerque, et, à 9h30, 11h30, 12h30, 13h20, 15h03, 15h08, 15h14, 15h33, 15h38, 16h05, 16h17, 16h38, 17h50, 18h14, 18h37, et 19h04, les vagues d'avions pilonnent la ville martyre, secondées par l'artillerie.
 La D.C.A. de tout calibre tire; c'est un véritable enfer de feu et de fumée, une fournaise mortelle, une vision d'horreur.
 
 L'atmosphère est lourde et chargée d'odeur de poudre; les réfugiés courent les routes, ne sachant plus où se cacher, invoquant notre protection.
 Hélas, qu'y pouvons-nous...

 Jusqu'au 30 mai, nous assistons à ce spectacle navrant, qui montre notre faiblesse.
 Les avions ennemis vont et viennent, pratiquement sans autre opposition que les tirs de la D.C.A..

( 31 mai )


                                                  ( illisible )
 
 A 17 heures, nous partons à nouveau pour Téteghem, et, à 19h19, après la mise en batterie, nous essuyons le feu de l'artillerie, sans grand dommage.
 Nos 75 de campagne sont derrière nous, à environ 800m.

                                                   ( 1er juin )


 La journée du 1/6 est pour le bombardement aérien !
 Cela commence le matin, à l'aube.
 Trois stukas font leur apparition et plongent sur une batterie anglaise de D.C.A. abandonnée, et située à environ 200m de nous.
 Il semble que notre tranchée va nous servir de tombeau.
 L'alerte passée, nous allons voir les résultats.
 Trois énormes entonnoirs en plein milieu de la batterie !
 Quand on pense aux dégâts que ça aurait causé chez nous, nous sommes heureux de l'erreur des aviateurs allemands...

 Après cela, nous voyons passer plusieurs vagues d'avions se dirigeant vers Dunkerque ou St Pol.
 La nuit du 1 au 2 n'est qu'un alternat entre l'artillerie et l'aviation de nuit.
 On sent que le coup décisif est proche.
 La mitraille inonde le dernier rempart de Dunkerque, et des milliers d'hommes sont là, beaucoup sans ordre, à attendre le coup de grâce.

                                             ( 2 juin )


 A l'aube, l'activité aérienne reprend.
 Mais cette fois, la chasse anglaise est là.
 De nombreux combats aériens ont lieu de 8h05 à 11h45; des appareils tombent, fauchés par la mitraille.
 Deux s'accrochent en plein vol, s'arrachant mutuellement l'aile droite.
 Ces avions tombent en tournoyant lentement.
 Les parachutes s'ouvrent.

 Mais cela n'empêche pas les bombardements, dont les plus violents sont à 12h15, 12h46, 15h02, 16h06, 16h27.
 L'artillerie comble les vides et bombarde au petit bonheur, toujours derrière nous.
 
 Des fantassins nous dépassent, les traits tirés; quelques-uns sont atteints légèrement, mais encore plus au moral qu'au physique.
 La nuit tombe, et seule l'artillerie trouble le silence.

( 3 juin )


 Le 3 au matin, nous entendons les mitraillettes allemandes à Téteghem.
 Nous passons pour nous réfugier derrière le canal, à Rosendaël.
 Nous y sommes vers 6 heures.
 Nous prenons position près du cimetière ( ! ), au croisement de quatre routes, où se trouve un bar dénommé " Au bon coin ".
 Je crois qu'après ce qu'il s'est passé, son appellation pourra être changée...

 Nous mettons en batterie immédiatement, et faisons feu sur l'ennemi.
 Mais, leurs observateurs nous ont repérés.
 A 12h30, une salve d'artillerie nous surprend.
 Au premier obus, plusieurs de nos camarades tombent.
 Nous sautons dans la tranchée en tirant nos morts et nos blessés.
 Le reste de la rafale ne nous touche pas.
 Six obus sont tombés dans un rayon de 50 mètres et sur la batterie.
 Tout cela a duré moins d'une minute, mais il nous a semblé que le temps était long, très long !

 Mon camarade de guet, F..., gît à mes pieds, l'aine déchiquetée par un éclat.
 J'ai pu, avant qu'il ne s'évanouisse, lui parler un peu.
 Sa seule réponse a été " je suis mort...je suis mort...", cela prononcé en hoquetant.
 Comme je l'appelais " Hector ! Hector ! ", il rouvrit les paupières, et me répondit dans le langage cher à notre Provence " Oh ? ", et ce fut tout.
 Sa tête roula sur son épaule.

 Des larmes que nous ne pouvons contenir coulent sur nos visages.
 Notre brave capitaine, C..., est grièvement blessé à la nuque; S..., un seynois ( de La Seyne sur Mer, Var ) tué net d'un éclat en pleine face, 8 autres avec des blessures, qui à la poitrine, au ventre ou à la tête, plusieurs avec de simples égratignures.
 Et moi, rien...
 Nous réussissons à trouver une ambulance et à faire transporter nos blessés à l'hôpital de Zuydcoote.

La photo suivante a été prise pendant l'hiver 39-40.
 On "joue" à la guerre en toute insouciance.
 Quand j'ai vu cette photo, après avoir lu les lignes sur le drame du 3 juin, j'ai ressenti comme un malaise.
 ( mon père est le troisième en partant de la gauche )

(  3 juin - suite )


 Peu après ces tristes événements, 3 stukas plongent, passent sur nos têtes.
 Nous nous attendons à tout moment à être bombardés, mais non; cette fois ils piquent sur le Fort des Dunes.
 Nous voyons nettement 3 grosses bombes lui tomber dessus.
 Un ébranlement sourd; des gerbes de sable et de fumée jaillissent.
 Le fort est durement atteint.
 Les murailles s'écroulent, ensevelissant plus d'un millier d'hommes.
 Seuls quelques-uns réussissent à s'en sortir.

 Une batterie de notre groupe vient d'y perdre les trois-quarts de son effectif.
 Quand on pense à tous ces malheureux qui s'étaient réfugiés là, pensant être à l'abri dans les murs du fort...
 Celui-ci leur sert de tombeau. ( en réalité, une centaine de morts ).
 Le bruit court qu'une des bombes serait passée par une bouche d'aération, et, de ce fait, aurait pénétré directement dans le fort.

 L'étau se referme de plus en plus; il ne reste plus à la 1re armée qu'une bande de terrain qui s'amenuise de plus en plus.
 Beaucoup d'hommes sont massés, comme attendant le coup de grâce.
 Sans commandement, livrés à eux-mêmes, ils forment une masse inerte, comme un géant privé de cerveau.
 En effet, les officiers sont indécis sur les décisions à prendre.
 D'ailleurs, lesquelles ?
 Partout où l'on se tourne, c'est l'ennemi...
 
 Il ne reste que la mer, et c'est vers elle que vont tous nos espoirs !

Haaaaaa!!! Les 400 anti aérien... J'en viens...