Le soldat Robert Jourdain en mai-juin 1940

moi aussi, du 405 ! 

et moi du 46e RI !!

Pascal

3 juin ( suite )


 A 15 heures, pour la deuxième fois, nous essuyons un bombardement par l'artillerie adverse, mais, cette fois-ci, tout le monde est dans la tranchée; personne n'est touché.
 Mais notre matériel est mis hors d'usage.
 Que va t-on faire ?.
 Nous attendons les ordres.

 L'officier qui a pris le commandement de la batterie, le lieutenant B..., s'en va à l'état-major, qui est lui aussi au Fort des Dunes.
 Une demi-heure après, vers 16h30, il est de retour.
 L'ordre est de détruire tout ce qui reste en bon état de fonctionnement, et de se diriger vers la mer, où, paraît-il, nous pourrons peut-être réussir à embarquer, et à être débarqués soit en France soit en Angleterre. ( on parle d'embarquement dans la nuit ).

 La mise hors d'usage de notre matériel n'est pas longue, et, comme nous ne devons emporter qu'une musette et une couverture, le sac est vite fait, et nous voilà partis vers la mer.
 Cette fois, nous doublons nos 75 de campagne qui continuent à tirer.

 La nuit vient vite; bientôt nous n'y voyons plus.
 Nous marchons à l'aveuglette parmi les décombres dans les rues de Malo; l'artillerie tirant sans arrêt.
 Ce qui nous oblige à nous mettre à plat ventre tous les 50 mètres !.
 Des éclats et des débris de toute sorte volent dans les airs.
 Nous sommes peut-être 4 ou 5 000 en colonne; quelle organisation !
 Il nous faut toute la nuit pour parcourir les 3 ou 4 kilomètres qui nous séparent de la mer.

HAGEN a écrit:

moi aussi, du 405 ! 

Du 402... Le dernier des 400, Dissout en 2012...

( 4 juin )

Nous avons marché toute la nuit, et le jour se lève au moment où nous arrivons à Malo-Terminus.
Mais quel spectacle !...
La plage est jonchée de débris, véhicules, fusils, armes, bateaux éventrés, cadavres d'hommes et de chevaux gonflés par la noyade.
Et, au milieu de tout ça, des milliers d'hommes qui attendent d'être embarqués.
Quelle sinistre plaisanterie ! Nous savons pertinemment qu'aucun bateau ne viendra plus.
Il y en a, certes, mais au fond de l'eau...
Et nous sommes des milliers à être là, le regard vers la mer.
On frémit en songeant que si les bombardiers étaient venus, quelle hécatombe !...

Mes camarades et moi cherchons refuge dans les dunes.
Vers 7 heures, avec M..., nous commençons à creuser un trou pour nous mettre à l'abri, et pouvoir enfin nous reposer.
Voilà notre trou presque fini, quand mon camarade m'interpelle et me dit " regarde un peu sur le fort, il me semble que je vois un drapeau...".
Je prends mes jumelles et je m'aperçois avec stupéfaction qu'un drapeau blanc y flotte.
J'avertis mon lieutenant; celui-ci me demande les jumelles.
Après avoir regardé, il se tourne vers moi, l'air désolé, et me dit " Quelle m...! C'est malheureux d' y avoir laissé tant de braves types ".
Donc, ça y est; c'est la reddition de la Ire armée...
L'heure a sonné pour nous, c'est la captivité qui nous attend.

Malgré tout, nous songeons au repos; nous posons notre couverture sur le sol, et nous allions nous allonger, quand, à 50 mètres de nous sur la dune, des appels se font entendre.
Un soldat allemand ( de la 18. I.D. ? ) est là, armé d'une mitraillette, qui nous fait signe de nous rendre auprès de lui.
Les bras en l'air, nous le rejoignons, avec la soumission du vaincu.
Quelques paroles sont échangées : " nicht armes ? ", " non ", et il nous dit une phrase que nous ne comprenons pas.
Alors, par gestes, et en pointant sa mitraillette sur nous, il se charge de nous faire comprendre dans quelle direction il nous faut aller.
C'est la route de l'exil qui commence.
A ce moment-là, tout d'un coup, je pense à ma femme et à mon fils.
Quand les reverrais-je ?

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Voilà, c'est terminé.
Il restait encore quatre pages, mais illisibles; de quoi parlaient-elles ?
Du chemin vers le stalag ? De son évasion ?
Beaucoup de points d'interrogations...
Mais je n'étais pas au bout de mes surprises...
Dans une boîte en fer blanc, j'ai trouvé des médailles.

-médaille commémorative de la guerre 39-45 " France "
-médaille des évadés
-médaille d'honneur du travail
-médaille de la jeunesse, des sports et de l'engagement associatif.

et puis celle qui m'a laissé perplexe,

-médaille des blessés de guerre.

Il ne parle pas de blessure dans son carnet de mai-juin 1940...
Peut-être a t-il été blessé pendant sa captivité, ou son évasion ?

Ce qui est sûr, c'est qu'il ne touchait aucune pension correspondant à une blessure.

En tout cas, ça augmente mes regrets de ne pas avoir eu de conversation sur le sujet avec lui.

Que dire .....
Merci de nous avoir fait partagé cette "balade" de ton père en mai-juin 40...., in situ, in "vivo", avec les faits historique et surtout ses interrogations, ses espoirs et ses questions, presque ses états d'âme....
je pense que beaucoup ici ont suivi ses "aventures" avec beaucoup d'attention, moi en premier, même si on ne se faisait pas trop d'illusion sur la fin "globale"....
je regrette déjà que ce soit fini....

encore un très grand merci pour ce moment d'histoire "personnelle" dans la grande histoire !!

Pascal

Merci à toi, merci à vous.
Quelque part, ça m'a fait du bien; ça m'a un peu plus rapproché de mon père, même si c'est seulement en pensées.

Yves

Merci Hagen.

Cela, je peux le mettre en parallèle avec ce que me racontais mon grand-père. Je n'ai eu très souvent que des brides, quand il se laissait à me raconter cette période. Il n'était pas très "causant", du moins, pas très expansif... Puis avec le temps, j'ai pu, grâce à d'autres témoignages, recouper mes informations avec de nouveau renseignements glanés ça et là... Et puis ma grand-mère, avant de perdre le sens commun, m'avait donné un carton contenant des correspondances avec d'autres personnes, d'autres services, notamment britannique. Et là, j'ai découvert bien d'autres choses... de celles que je supputais, mais dont je n'avait pas le début d'un indice... Alors ce n'est pas un récit de ce moment, mais bien une correspondance d'après guerre. Où il recherche sont "officier traitant"... et là, bien que j'ai comme toi le plus grand mal à lire ou déchiffrer ces nombreuses lettres, j'ai découvert son nom de code, inscrit par son correspondant tant recherché, gravement blessé aux cours des évènements... Ce qui a comblé un trou dans ces renseignements, et qui m'a conforté dans mes supputations qui désormais n'en sont plus...
Imagine quelle joie ce fut pour moi. Arriver à relier les points indépendant les uns des autres, bien qu'il en reste encore beaucoup en attente de corrélation...
Mon grand-père m'a quitté en 2008, et depuis, j'essaie de reconstituer son parcours, entre la résistance, sa fuite dans le Gers, puis son passage en Angleterre, son retour avec l'armée américaine, sa période en Allemagne, puis son retour en France, et sa seconde affectation an Allemagne avec l'armée française... C'est dire si on peut être surpris parfois par ceux que l'on croit connaitre, surtout quand ce quelqu'un se met à parler en allemand avec le témoin germanique de la future femme de son fils lors du mariage de celui ci... C'est là, très jeune à l'époque (j'étais au collège, et ayant appris les rudiments de l'anglais, je m'efforçais de parler en anglais avec les amis allemands de mon oncle), que j'ai commencé à me dire que les histoires de mon grand-père, ce n'était pas des "vantardises"... Et encore moins lorsque j'ai découvert, la lettre de remerciement signée de Dwight D. Einsenhower pour avoir sauvé la vie de pilote alliés...(elles est toujours conservé dans le rouleaux de poste de son envoi par le Service Spécial de l'armée américaine pour le GQG Allié en Angleterre.)
Comme tu vois, mes recherches ne sont pas terminées, mais j'aurais aimé qu'il fasse comme ton père,  consigner ses souvenirs dans un carnet... Je n'ai que les brides de ma mémoire pour le faire...
Merci pour ce partage Yves. Et un immense respect à tous ceux de cette époque....

Immense respect, oui.

Super intéressant, tu devrais poster ces textes sur ATF1940... ils seraient fous de joie de lire ces témoignages.

Oui, je vais retenir la suggestion; merci.